Sainville
SAINVILLE
Origine de Sainville : la déesse gallo-romaine Segeta
Le nom du village apparaît dans des documents écrits en 1084, sous la forme Segetis villa. A cette date en effet, Albert de Segetis villa est cité comme témoin, dans une charte concernant des biens donnés à l’abbaye de Saint-Père-en-Vallée [1] par Gontard de Garancières ; les autres témoins sont les seigneurs de Paponville et de Saint-Escobille. Il ne peut s’agir que de Sainville.
Plusieurs agglomérations portent le nom « Segeta » dans la région :
Or il est possible que ce toponyme se soit appliqué tout d’abord, durant le haut Moyen Âge, à l’agglomération d’origine gallo-romaine enfouie aujourd’hui sous les labours au lieu-dit « le Petit Sainville », et située de part et d’autre de la voie romaine qui limite les communes de Sainville et de Maisons.
Dans la région, une autre agglomération antique plus importante a été repérée en situation analogue, en bordure de la voie romaine menant de Chartres à Sens et dite « chemin de Saint-Mathurin ». Cette agglomération située à Sceaux-du-Gâtinais est nommée Aquis Segeste au IVe siècle, sur la carte des voies de l’empire dite « Table de Peutinger ». On a trouvé à cet endroit une inscription votive dédiée à une déesse Segeta qui serait donc à l’origine du nom de lieu actuel.
D’autres inscriptions ont été découvertes dans la Loire, autour de Montbrison, emplacement très probable d’un Aquis Segete sur la carte déjà mentionnée[2]. Un rapprochement avec la forme ancienne de Sainville semble s’imposer.
La déesse « Segeta » effigie et symbole :
La déesse Segeta est encore connue en Gaule par des monnaies impériales du IIIe siècle, émises à Lyon, à l’effigie de Salonine, épouse de Gallien. On l’assimile enfin à une déesse Segesta ou Segetia, invoquée à Rome comme protectrice du froment levé. La racine de son nom, sego-, « victoire, force » la désigne comme une divinité puissante, victorieuse, favorable aux bonnes récoltes autant qu’à la santé des humains qui fréquentaient les sources thermales de Sceaux-du-Gâtinais ou de Montbrison.
Origine légendaire de Sainville
Cela nous ramène au Petit-Sainville, entouré d’une plaine aux riches moissons, et où l’on trouvait un point d’eau, objet d’une légende, ainsi qu’une maladrerie et une chapelle, placées sous le patronage de saint Maur. Selon cette légende, saint Maur arrivant dans nos contrées au terme d’une longue journée de marche au soleil au milieu d’une plaine sans arbres, s’approcha du bois du Barciau, attiré par le clapotis de la mare qu’on y trouvait. De jeunes laveuses y rinçaient gaiement leur linge. Le bon saint leur demanda humblement la permission de s’abreuver. Agenouillé au bord de la mare, il fut brusquement poussé en avant par les malignes laveuses et s’étala dans l’eau. La justice divine condamna les malheureuses à laver éternellement les âmes des enfants morts sans baptême. Nul ne les revit au village, mais les voyageurs qui passaient à la nuit tombée le long du bois entendaient le bruit des battoirs avec des plaintes étouffées et de sinistres craquements d’os[3].
Le site du Petit-Sainville correspond bien au patronage de Segeta, qui assure la croissance des épis, redonne des forces à saint Maur ou aux pensionnaires de la maladrerie en les désaltérant. Mais pour faire oublier la déesse païenne, la christianisation l’a réinterprétée en sorcière maléfique, lavandière maudite.
Quelques événements notés par les curés de Sainville dans les registres de baptêmes, mariages et sépultures, aujourd’hui conservés à la mairie :
Les loups en Beauce alnéloise
- 17 octobre 1691, inhumation de la tête d’Anthoinette Forest, fille de Pierre Forest et de Suzanne Lesage, âgée de 6 ans, ravie, emportée par la bête et mangée le lundi 15 octobre.
A cette époque, au début des années 1690, des loups amateurs de chair humaine ont sévi dans la Beauce alnéloise, notamment à Garancières, Aunay-sous-Auneau et la Chapelle-d’Aunainville, attaquant de jeunes enfants. Il semble qu’il s’agissait de loups ayant suivi les armées royales repliées aux alentours d’Orléans après avoir ravagé le Palatinat (rive gauche du Rhin, au nord de l’Alsace). Ces animaux avaient pris l’habitude de se repaître des cadavres abandonnés sur les champs de bataille.
Les travailleurs saisonniers
- 21 juin 1731, inhumation de Martial Blaco, un jeune manouvrier de 16 ans, originaire de Bazac (Charente), victime d’un accident dans la maison Michaut. Les témoins sont originaires de la même paroisse.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on trouve trace, dans les registres de la région, de nombreux travailleurs saisonniers venus du Limousin et des régions limitrophes. On les désignait comme « limousins ». Les uns venaient renforcer en été les équipes de moissonneurs embauchés par les gros fermiers, avant de rentrer au bercail pour labourer leurs propres terres. Les autres cherchaient du travail comme maçons et ouvriers du bâtiment. Certains se sont mariés chez nous et ont encore des descendants.
Quelques anciennes coutumes populaires
Au XVIIe siècle, les archidiacres de l’immense diocèse de Chartres (équivalent des deux départements actuels d’Eure-et-Loir et du Loir-et-Cher, et plusieurs importants fragments de plusieurs autres : Yvelines, Essonne, Loiret, Orne) étaient chargés, au nom de l’évêque, de la visite régulière des paroisses. Ils consignaient sur leurs registres (aujourd’hui conservés aux Archives Départementales) les observations et recommandations qu’ils étaient amenés à faire aux curés. Ils pourchassaient notamment les bruyantes manifestations de la jeunesse, tant lors du Carnaval qu’à l’occasion des mariages.
- Le 15 avril 1660, on apprend ainsi qu’au Mercredi des Cendres on a coutume à Sainville de battre le tambour tout le jour avec armes et fusils pour, disent-ils, tuer Carême-Prenant, représenté par un mannequin de paille, ce qui se fait à la sortie du service divin, où ils tirent une infinité de coups, au scandale de tous les bons paroissiens.
- Le 9 juin 1671, l’archidiacre défend aux garçons de sonner ni d’exiger d’argent des mariés et des fiancés, ni de manger et boire à la porte de l’église. Il leur défend aussi d’emporter les mariées sur des civières ou dossiers, le tout sous peine de refus des sacrements, voire de poursuites judiciaires[4].
Jean-Paul Lelu
-> Jean Paul Lelu est l’auteur de plusieurs articles que vous pourrez retrouver dans les bulletins de la SAEL.
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